A ce jour, l’histoire de la vieille ruine du château de Perella qui domine Prats de Molló n’avait encore jamais été entreprise. La recherche et la confrontation des documents trouvés dans les différentes archives ont permis à l’auteur de remonter le temps de l’Histoire et de faire revivre ce lieu de mémoire cher aux Pratéens.
Rêvons un peu
En ce jour du mois de mai de l’année 1290, toute la vall de Prats est en émoi. Francesca de Perellaépouse Guillem de Ribes. Francesca, la pubilla de Perella, est l’héritière universelle du chevalierPerella, seigneur du château et du fief de Perella dans la vallée de Prats en Vallespir. Quant à Guillem, il est le fils aîné, l’hereu de Ribes, de feu le chevalier Ramon de Ribes et de Sibilla, son épouse.
Autour de Ramon, le prêtre bénéficier de la chapelle de Sant Joan de Perella, sont présents sur le pedrís de la petite église, les principaux seigneurs des fiefs environnants : Bernat Hug de Serrallonga, leur proche voisin, seigneur du château de Cabrenç et des lieux de Costoja et Serrallonga, Guillem de Berguedà, Guillem Oller, le père abbé de Camprodon, les troubadours Huguet de Mataplana et Ponç de la Guàrdia et toute une assemblée de seigneurs et gentes dames, parents et amis venus des régions du Vallespir et du Ripollès…
De fait cette union concrétise tout à la fois l’ascension et la renommée de la famille des Perella du Vallespir mais aussi affirme la puissance des Ribes, seigneurs de la vallée de Ribes de Freser.
Le lieu de Perella est documenté dans la haute vallée du Ter depuis l’an 887. Cette année-là, le 24 juin, le révérend père Gotmar, évêque de Vic, s’engage dans le parchemin de consécration du monastère de Sant Joan de les Abadesses à doter celui-ci des dîmes et des prémices, c’est-à-dire les premiers fruits ou des premières récoltes, des hameaux environnants parmi lesquels se trouve cité celui de Perella. En 913, dans un document qui évoque une sentence arbitrale rendue en faveur d’Emma, la jeune abbesse du monastère, ce sont les représentants de 18 foyers qui déclarent habiter avec leurs familles dans le veïnat de Perella situé tout autour de la maison de Perella.
Le patronyme de Perella apparaît dans les documents au tout début du XIIe siècle. Les Perella sont alors souvent cités dans les parchemins concernant les lieux situés dans l’ancien comté de Besalú et dans la région du Ripollès, entre autre, en 1118 pour la concession du marché de Camprodon, en 1137 à Besalú pour témoigner des droits des prieurs de Santa Maria, en 1141 dans un acte concernant une donation comtale au monastère de Santa Maria de Ripoll, en 1146 lors de l’attribution de terres à Cirach en Conflent, à l’Ordre des Templiers.
Auprès des Comtes de Barcelona, Ramon Berenguer III et Ramon Berenguer IV, Perella semble occuper un rang aussi important que celui des autres seigneurs tels Hug de Mataplana, Galceran de Pinós, Pere de Berga, Pere de Lillet, Ramon Bernat de Sa Guàrdia ou Galceran de Sales.
En 1145, Perella entouré des membres de sa famille, Corduana son épouse, Ramon et Perella ses fils, fait don de l’église qu’il vient de faire édifier « pour la rémission de nos péchés », sur la petite colline dominant le domaine de Perella, au monastère de Sant Joan de les Abadesses. Ce seront lesabbés de ce monastère qui en nommeront les prêtres desservants.
Durant cette période, les Perella acquièrent l’important domaine du mas de Planes (aujourd’hui els Plans) et celui, plus bas dans la vallée, du mas Grau. Le fief de Perella s’étend alors tout au long du fleuve Ter, entre Sant Pau de Segúries et Sant Joan de les Abadessses.
Vers la fin du XIIe siècle, Beatriu de Perella se marie à Ademar de Miralles dont la fille Saurina se voit contrainte de revendre les propriétés à l’abbé du monastère de Sant Joan. Les domaines des Perella dans la vallée du Ter étant dispersés et revendus, le nom lui-même de Perella ne désignera plus dans les documents que le lieu où se trouve l’église de Santa Maria de Perella dédiée aujourd’hui à Santa Margarida. De nombreux documents font mention de dons faits à Santa Maria de Perella à laquelle on trouve associé parfois l’ hospital de Coll d’Ares.
Les Perella sont documentés en Vallespir dans les années 1130. Et en 1135 Perella de Prats en Vallespir, est effectivement désigné comme batlle du comte de Barcelona Ramon Berenguer IV. En 1151, le même ou un de ses fils, nommé lui-aussi Perella, agit comme homme de confiance du comte lors de la rédaction d’un acte faisant état des possessions et des revenus de Ramon Berenguer dans la vallée de Prats. Et en particulier les scribes mentionnent bien que Perella possède aussi, à côté du domaine comtal, un fief, avec trois manses et deux bordes, qui lui a été donné par le comte et dont il perçoit les revenus en échange du serment de fidélité envers son seigneur. Il reçoit en outre sur les revenus de la vallée de Prats, quatre cochons, trois béliers, cinq jambons, auxquels s’ajoutent desquartères d’avoine, des muids de vin, les droits de tasca et de cussura et cent soixante pains de seigle. C’est d’ailleurs Perella qui est chargé de faire jurer, sur les quatre Evangiles, au batlle Bertran et aux déclarants de la ville et vallée de Prats, d’avoir fait enregistrer des déclarations exactes et dignes de foi. Perella apparaît alors comme l’homme de confiance du comte de Barcelona pour les affaires touchant aux possessions comtales dans la haute vallée du Tec.
En 1182, Perella se porte garant du respect des engagements pris par le roi Alfons 1er concernant la mise en gage des revenus de la vallée de Prats au profit de son créancier Bernat Sanz de Perpignan.
Tout au long du XIIIe siècle, les noms de Perella de Pratis et de son frère Pere apparaissent dans les documents. En 1229, lors de la vente d’un de leur dernier fief qu’ils possédaient encore dans la vallée du Ter; en 1234 lors de l’achat par le seigneur Bernat Hug de Serrallonga d’un château près de Ripoll; en 1235 lors de l’arbitrage entre l’abbé d’Arles et les habitants révoltés contre les abus des droits seigneuriaux.
L’honneur de Perella (ainsi que celui de la Masó) est cité dans l’acte de consécration de la nouvelle église de Prats, le 9 des calendes de mai 1245.
Perella, qualifié du titre de chevalier de Prats en Vallespir reconnaît, en 1299, qu’il possède en fiefl’honor de Perella ainsi qu’un champ dit el camp de Prats et une borde dénommée la borda Rossinyolaavec terres et appartenances, dans la paroisse des Saintes Justa et Rufina de Prats. Pour ces possessions, il déclare être le fidèle et loyal vassal du roi auquel il rend hommage ore et manibus, suivant la formule consacrée.
Le chevalier Perella étant décédé sans avoir d’héritiers mâles vivants, c’est sa fille Francesca de Perella qui lui succède dans le fief du château de Perella de Prats. A la suite de son mariage avecGuillem de Ribes, le château des Perella va entrer dans la mouvance des possessions des Ribes, seigneurs de Ribes de Freser. Depuis le milieu du XIIe siècle, les Ribes sont la famille dominante de la haute vallée de la rivière Freser. Dominant les lieux de Ribes, Campelles, Pardines, Bruguera, Queralbs et autres, les Ribes n’ont eu de cesse d’accroître leurs prétentions que ce soit sur lespasquers de la haute montagne de la Coma de Vaca ou sur les revenus tirés des moulins banaux. Il apparaît que Guillem de Ribes, fils de Ramon de Ribes, partage avec le roi, les revenus des tenanciers du domaine royal dans le capbreu de la vall de Ribes rédigé en 1283. Son union avec Francesca de Perella est donc une nouvelle étape dans cette politique d’expansion. Désormais les Ribes s’implantent en Vallespir.
Quelques années plus tard, le fils aîné de Guillem de Ribes et de Francesca de Perella, Francesc de Ribes qui a épousé Catarina, veuve du seigneur de la Masó de Prats, se trouve être à la tête d’un vaste domaine englobant, dans la vallée du Tech, les fiefs dépendants du château des Perella auxquels s’ajoutent désormais les possessions de la casa castell de la Masó.
Peu avant 1369, leur fils Guillem de Ribes déclare posséder le castell de Ribes avec ses terres, un moulin à farine, un four à tuiles, les revenus de l’escrivania de Ribes et de certains pasquers de la Coma de vaca auxquels s’ajoutent les revenus des fiefs des châteaux de Perella et de la Masó dont les domaines s’étendent depuis la vallée de la Comelada, au Tech, jusqu’à celle del Llantser, aujourd’hui la Percigola, à Sant Salvador.
A la suite de la mise sous tutelle du jeune Joan de Ribes, le château et les possessions de Perella seront vendues le 4 octobre 1380 à Pere Blan, donzell de Perpinyà. La famille des Blan gardera le fief de Perella jusqu’au début du XVIIe siècle. En 1535, est rédigé le capbreu du château de Perella qui contient les reconnaissances des propriétés détenues au nom du seigneur lo Magnifich Antich Blan alias Andreu, donzell, en la vila de Perpinyà domiciliat, senyor del castell i terme de Perella, en la batllia de Prats. Certains habitants de la ville royale de Prats ainsi que ceux qui possèdent des mas situés dans les veïnats de la rive gauche du Tech se déclarent être et demeurer, pour des terres cultivées ou incultes, vignes ou forêts, les fidèles et loyaux sujets du seigneur de Perella.
Le château passe ensuite par succession et héritage de la famille Blan à celle de Perapertusa, puis à la famille des seigneurs de Pinós, originaire des baronies de Pinós et Mataplana, dans la région du Berguedà.
En 1624, Dona Isàbel de Pinós i de Perapertusa et sa soeur qui résident à Barcelona, demandent à Guillem de La Trinxeria de les représenter pendant la rédaction du capbreu de leurs possessions à Prats de Molló. Leur héritier lo Noble Don Joseph Galceran de Pinós et les autres membres de la famille décident de vendre leurs propriétés en Roussillon ainsi que leur possession de Perella.
C’est le notaire de Prats, lo Magnífich Rafel de La Trinxeria qui va s’en rendre acquéreur. Le 25 juillet 1650, suivant et respectant les gestes d’un cérémonial bien codifié, Rafel de La Trinxeria prend possession de la demeure du château et de la seigneurie de Perella.
Après le Traité des Pyrénées et la Guerra de la Sal qui s’en suivit, le château de Perella est occupé par une petite garnison. Les Français dissertent beaucoup sur l’intérêt de la place militaire de Pratz de Mouillou et du chasteau de Perilloux, une grange retranchée, tel que le définit le ministre Louvois lors d’une visite à Prats en 1680. Finalement, en 1683, le château de Perella est démantelé.
Les Français préférant continuer d’améliorer le nouveau fort construit autour de la vieille tour de LaGuàrdia. Cependant, jusqu’à la Révolution les revenus de la seigneurie de Perella ainsi que ceux du bénéfice de la chapelle de Sant Joan de Perella continuent à être perçus par les membres de la famille Trinxeria.
Pendant la Révolution, les Trinxeria s’étant exilés en Espagne, les biens de Perella sont mis sous séquestre puis vendus aux enchères tout comme ceux des autres émigrés de Prats. C’est à Céret que, le 2 brumaire de l’ An IV, les terres et la métairie de l’émigré Trincherie de Perella sont vendues après enchères à un groupe de neuf propriétaires de Prats de Molló. Ceux-ci répartissent et divisent la propriété en plusieurs lots.
A partir de 1810, François Trinxeria-Camps, rentré en France et revenu à Prats après un détour par Montalba d’Amélie, s’attache à racheter les biens de la famille vendus pendant la Révolution. Pendant quelques années, au moment de la Restauration, il est nommé maire de Prats de Molló. Au décès de François de La Trinxeria-Camps, en 1842, c’est son beau-fils, Ramon Bosch, époux de Marie-Anne de La Trinxeria qui hérite des propriétés après accord et vente des parts de sa mère et de ses soeurs.
En 1886, par succession directe, Carles Bosch i de La Trinxeria, écrivain et excursionniste réputé, né à Prats de Molló en 1831, amoureux de son village natal et de ses montagnes, hérite des propriétés de la famille situées en Vallespir, à Prats et à Serrallonga. Sa fille, héritière en 1897, de la propriété de Perella et des terres adjacentes de la Redoute et de Can Fons, revend l’ensemble à la Société Anonyme de Sanatoria et Hôtelleries de Montagne.
Les membres de cette société, éminents ingénieurs et professeurs de médecine des Facultés de Bordeaux et de Montpellier, relayés par les principales personnalités de la société pratéenne, « surfant » sur la mode de l’excursionnisme scientifique et du climatisme, envisagent la construction et l’exploitation d’un sanatorium sur le domaine du Mas-Pareille. Ils ne tarissent pas de propos dithyrambiques sur la situation et le climat du Vallespir et de Prats de Molló situé dans une riante petite vallée dont les pieds baignent dans la Méditérranée, au milieu d’une végétation africaine, dont la taille se ceinture d’oliviers et de pampres et dont la tête couronnée de chênes et de hêtres a pour chevet la montagne du Costabona … Afin d’attirer les capitaux nécessaires à cette entreprise, ils étudient et exposent très sérieusement la rentabilité d’un tel projet et font paraître les plans du futur établissement.
Malgré tout cet enthousiasme et toutes ces certitudes, le projet de la construction d’un sanatorium à Perella ne résistera pas aux bouleversements engendrés par la première Guerre Mondiale. Il en sera de même pour le projet porté par la Société du Fort La Garde qui envisageait d’installer dans l’enceinte du fort un établissement d’héliothérapie pour enfants malingres et débilités, et qui lui non plus ne sera jamais concrétisé.
Depuis lors, le domaine de Perella est devenue une propriété privée. Les ruines du vieux château des Perella semblent désormais s’être définitivement endormies sur leur passé.
Le récit développé, illustré et détaillé ainsi que les références des documents cités se retrouveront dans le livre « Le château de Perella-El castell d’en Perella de Prats » en vente auprès de l’auteur ou à la Librairie Sant Jordi de Prats de Molló.
Auteur : Jordi COLOMER.
( article extrait du N° 1 de la Revue Costabona, éditée en 2012 par l’association de sauvegarde et de valorisation du patrimoine de Prats de Mollo, Velles Pedres i Arrels« )